V2. La pagode chais plus quoi

Grace ne put accorder à la reconstitution du jardin zen toute l'énergie qu'il aurait demandé, car elle fut dérangée dans ses travaux d'Hercule par un habitant qui la salua poliment en s'inclinant. Elle tenta maladroitement de lui rendre son salut.

- Pourquoi c'est toujours à elle que ça arrive des trucs comme ça et pas à moi ?
C'est moi qui rêve d'apprendre le geste local, y en a marre !
J'en sais fichtrement rien mon pauvre Sylvain. Fallait choisir une femme moins attirante.
- Y avait ?
Heu... à part sa mère...

Le pauvre Sylvain tout dépité s'en alla noyer sa déception dans un bol de ramen. Il aurait choisi du poisson ça lui aurait fait un souvenir, mais-nan il a préféré le ramen. Ca change tout quand on le mange avec des baguettes, c'est bien mieux qu'à la maison !

Sitôt son bol avalé, il alla se calmer les nerfs en creusant encore plus de trous. Comme le poinçonneur des Lilas, il faisait des trous, des petits trous encore des petits trous… et même des gros !
- Honorable étranger chercher la vérité au fond du trou ? Honorable étranger être grand sage.
On ne vantera jamais assez l’hospitalité et la délicatesse des asiatiques. Celui-là, s’il ne s’était pas retenu c’est : « C’est pas bientôt fini de nous pourrir le jardin zen avec tes trous, connard d’étranger ?! » qu’il lui aurait envoyé. Mais-nan : Honorable étranger pouvait lui dire merci.

Surtout que Grace, peu habituée à tant de courtoisie, le prit au pied de la lettre. Puisque creuser des trous c’était faire preuve de sagesse, elle ne voyait pas pourquoi elle s’en priverait. Et va-z-y que je te creuse, et va-z-y que je te pète une canalisation.

- Oh ! Un geyser ! S’exclama-t-elle, sous le regard incrédule du Japonais.

Ces occidentaux ne comprenaient vraiment rien à rien.
- Creuser des trous : grande sagesse, les reboucher : sagesse extrême,
lâcha-t-il en s’éloignant à grandes enjambées pour éviter les mottes et les flaques.

Il ne serait pas dit qu’elle s’arrêterait en si bonne voie sur le chemin plein de trous de la sagesse :
Elle reboucha !

Bon ! Elle n’avait quand même pas fait tous ces kilomètres rien que pour reboucher des trous. Surtout que les trous à reboucher, on trouvait les mêmes à Simcity. Si elle allait se détendre un peu en ratissant le jardin zen, pour changer ?

Se détendre, se détendre… faut le dire vite. Ca lui faisait autant d’effet que de peigner la girafe. M’enfin, le guide, le centre d’information et le réceptionniste à l’Hôtel lui avaient assuré que c’était le must du must. Alors, elle ratissait inlassablement.
Rha, c’était pas pratique pour ratisser non plus, les talons. Ca faisait de nouveaux trous au fur et à mesure qu’elle se déplaçait avec son râteau. C’est peut-être pour ça qu’elle se détendait pas ?

Pendant qu’elle ratissait, Sylvain s’inclinait. Pas devant son travail, naaaannn ! Il s’inclinait devant l’honorable habitant qui avait daigné le saluer avant de partir. Comme il avait bien observé la leçon de salut oriental qu’il avait donné à Grace pendant qu’il avalait son bol de ramen à la baguette, il apprenait vite. A défaut de trou, il allait leur en boucher un coin, aux  pékins de Simcity.

Grace s’était découvert une passion pour les excursions… ou pour le guide, allez savoir.
Bien sûr, il faisait nuit noire, bien sûr ils n’allaient pas voir grand chose, mais la faute à qui si grâce au maxmotives ils pétaient la forme tous les deux ? Et puis, s’ils devaient creuser tout le Japon en trois jours, ils n’y avait pas de temps à perdre

Excursion en hélicoptère, la classe nan ?!
Sylvain hésitait. Voyez pas que ça lui fasse le même effet que l’avion ? Il serait frais quand il reviendrait !
- Meuh t’en fais donc pas, on connaît la recette maintenant. Un coup de maxmotives et il n’en paraîtra plus, lui assura Grace grimpant dans l’hélico comme si elle avait fait ça toute sa vie.

- Au fait… t’as trouvé quelque chose d’intéressant dans tes trous ? J’ai bien vu que tu continuais à creuser pendant que je m’échinais à reboucher, s’informa Grace.
- Une veille carte à moitié pourrie « La pagode chais plus quoi » répondit Sylvain. J’ai bien failli la remettre dans le trou.
Elle se récria :
- Ah-mais-nan, malheureux ! J’espère que tu l’as gardée. Le bonhomme m’a dit qu’il y avait des cartes qui menaient à des lieux inconnus des touristes. On n’a pas atterri jusque là pour se contenter de la pâture donnée aux touristes. On est de vrais explorateurs, rappelle-toi.
Atterrir… si seulement elle pouvait dire vrai, songea Sylvain tandis que l’hélicoptère prenait de la hauteur. Il affichait une nette préférence pour le plancher des vaches.

Oui-ben moi je vais finir par croire qu’il sait pas trop ce qu’il veut, le Sylvain. Regardez-moi la tête qu’il fait quand il rentre de son excursion. Qu’est ce qui va pas ? Ca s’est mal passé, l’excursion ? Vous-vous êtes fait attaquer par les oiseaux pour un remake du film d’Hitchcock ?
- Raconte-lui, Grace, moi j’ai trop la haine : Deux excursions que je fais, deux qui se terminent en eau de boudin.
- Bof, expliqua Grace, on a aperçu des pandas qui nourrissaient leurs petits. Le guide nous a dit de ne pas les approcher, mais on n’en a fait qu’à notre tête. C’est pas si souvent qu’on a l’occasion de voir des pandas. Alors, on a hésité entre les caresser et leur lancer de la nourriture. On a préféré les nourrir, vu qu’il fallait pas s’approcher. Et alors, on aurait mieux fait de s’abstenir apparemment.
- Mais fallait pas les approcher qu’il nous avait dit ce crétin de guide !
Et alors ?? Résultat des courses ?
- T’as qu’à essayer, tu verras bien !

Et donc, les deux éclopés ont décidé de se remettre en forme avec un petit massage digital. Sylvain, curieux de tout, s’en est fait expliquer tout le processus par le menu. Il n’aura plus qu’à mettre ça en pratique quand il rentrera chez lui.

- Alors, vous avez bien compris ? Vous appuyez avec le doigt, là !
- Ouich !
- N’ayez pas peur d’appuyer, faut rééquilibrer les courants énergétiques.
- Ouich !
Ca va Sylvain ? T’as tout retenu ?
- Ouich !

Y a pas de raison. Grace aussi tâte du massage, mais elle préfère le massage nordique histoire de faire valoir son droit à la différence. Sauf que la masseuse est bien incapable de lui expliquer comment ça marche. Elle sait faire, mais elle saurait pas dire. On est au Japon Grace, réveille-toi ! Si tu veux apprendre un massage, c’est le digi-machin, pas autre chose !
Elle a tout de même fini par entendre raison.

Un petit casse-bol vite-fait avant de rentrer ?
Cette fois, Sylvain ne se laisse pas avoir, il choisit le plat de poisson qu’il s’enfile comme un virtuose de la baguette, tandis que Grace, toujours prête à faire jouer ses prérogatives contestataires se contentera d’un bol de riz qui ne lui laissera pas un grand souvenir. -Peut-être un peu trop salé le riz ?… A moins que ce soit l’addition, allez savoir !

- HO ! Il nous prend pour qui, lui-là ? Pour des toutous, des touristes ? Il se figure que ça se voit pas gros comme son chapeau qu’il est pas natif du coin ?
Je ne sais pas qui les a prévenus qu’il y avait plein de charlatans prêts à détrousser les braves gens, mais Grace qui a le sens de l’épargne chevillé au corps par maman Carmen et papa Mickaël repère les arnaqueurs à mille lieues et aussi un peu à leur chapeau.

- Fais semblant de rien Sylvain, continue à creuser le Japon, chéri.
Il va se lasser avant nous, moi je te le dis !

- Bon ! La voie est libre, on y va ?
- On va où ?? On rentre pas ?
- Tu m’as pas parlé d’une pagode chais-pu-koi ? Ben on y va !
- A pinces ?!! Mais t’es infatigable, toi !
Il commence à se rendre compte que sa femme, c’est pas de la gnognotte, le Sylvain.
Quand elle a quelque chose dans le crâne… enfin, « si » elle a quelque chose dans le crâne

Ils arrivent à la pagode chais-pu-koi moi non plus.

Le vieux sage qui médite là-dedans et qui croyait avoir son coin relax, loin des touristes aux grands pieds qu’ils savent que mettre dans le plat, n’a pas besoin qu’on lui fasse un dessin :
- Vous n’êtes pas digne de mon enseignement, qu’il lui assène en toute vérité, faisant fi de la délicatesse du commun des mortels japonais.
Mais Grace n’en a cure. Elle s’incline humblement, comme elle l’a appris récemment et le salue d’un :
- Grand maître, pour rien au monde nous n’aurions voulu troubler votre retraite. On va se contenter de creuser quelques trous dans votre terrain si ça ne vous fait rien. On s’est promis de creuser chaque centimètre du Japon pour y trouver un trésor.

Nan-nan, il ne peut pas croire qu’elle parle sérieusement.
Elle s’exprime sans doute par métaphores.
Elle est peut-être moins bête qu’elle n’en a l’air.
- Je vous avais peut-être jugée un peu vite, admet-il.

- Qu’est ce qu’ils font ?? Mais qu’est ce qu’ils font, crotte alors !
C’est moi, que le maître a jugée digne de son enseignement, pas Sylvain !
Pourquoi il lui apprend le Taï-chi, cet abruti ?

- Grace, ma chérie, fais pas la gueule. Toi aussi tu peux apprendre. T’as juste qu’à faire comme moi, tu vois !
- T’es gentil Sylvain, tu me donnes pas d’ordres ! Et si moi, je préfère faire comme lui, je suis bien libre, nan ?!

- Sans vouloir te donner d’ordre, Grace chérie, tu devrais bien lâcher ta DS pour venir écouter le maître. C’est intéressant, ce qu’il raconte, mine de rien !